Ce que Henry Miller peut faire pour vous

Ça m’a pris un moment avant de devenir chum avec Henry Miller. J’ai essayé deux fois Black Spring, sans succès. J’arrêtais après trente pages. Le Doc (et beaucoup d’autres) le tenaient pour un auteur clef. J’avoue que la peer pressure était forte. Durant mes premières tentatives d’infiltrations au cœur de l’impressionnisme étourdissant de Black Spring, je cherchais en vain cette fascination qu’ils avaient tous, je voulais me livrer à la contagion sans pourtant choper la fièvre.
J’ai dû attendre Tropique du Cancer. Là, Miller m’a mordu. Ensuite, je suis retourné à Black Spring (Printemps noir, faudrait dire, car comme l’autre, je l’ai lu en français) et je l’ai bouffé tout cru. Je me suis plongé dans Tropique du Capricorne, en anglais cette fois, parce que vous ne le croirez pas, Miller est fuckin plus limpide dans sa langue à lui. Là, je suis assez creux dans Sexus, le premier des trois tomes de sa Crucifixion (en rose), sa Recherche du temps perdu, le témoignage de sa mutation, sa révélation – mettons ; le témoignage résolu qu’il se ferait écrivain et rien d’autre.  
Et Miller, je le préfère franchement à son succédané québécois qui hante les cocktails littéraires coiffé de son feutre, connu pour ce qu’il a écrit dans les années 80, choses qu’on aurait dû – ici – écrire dans les années 60, choses que Miller avait déjà écrites dans les années 30.

Si vous cherchez un excellent remède contre l’amertume que tout créateur finit (ou commence) par connaître, lisez Miller. En plus de vous crissez la claque que vous attendiez, il vous remettra tout ça en perspective. Qu’est-ce qu’on veut tirer de la vocation d’écrivain? Écrire pour Ramdam et flasher dans les 5 à 7, fier de dire que c’est avec sa plume qu’on met du beurre sur son pain? Ou écrire quelque chose, lentement, à son rythme, quelque chose qu’on trouve profondément valable et qu’au moins une personne ensuite trouvera valable? Y’a eu cette période spéciale, l’âge d’or du roman, qui s’est enflée des années 1820-30 jusqu’aux années, disons, 60-70, qui nous a fait croire à la carrière de l’écrivain*. Ensuite, y’a eu le cinéma qui s’est substitué à tout ça. Les écrivains sont devenus des writers. Et là, on s’éloigne de Miller.
En fait, lorsque Miller s’est dit qu’il voulait être écrivain, il ne pensait pas en termes de carrière, ni en termes de contrats d’édition; il voulait simplement écrire. Il avait une mission.
Toi, l’auteur en pleine carrière, en as-tu une mission?

 Ah pis tenez, voilà la citation de Miller qui m’a fait le plus de bien :
«Even if I could write the book I want to write nobody would take it.»
Miller, H. Tropic of Capricorn,  Grove Press, New York, p. 102

SOUNDTRACK:  Killing Fields de Slayer

*Si vous lisez vos livres d’histoire attentivement, vous verrez que tout ça n’est que l’invention des éditeurs.

Comments
4 Responses to “Ce que Henry Miller peut faire pour vous”
  1. doctriton dit :

    J’en connais un autre, d’auteur, qui prend son temps, nous livre sa pensée au compte-gouttes et nous fout des complexes à chaque fois qu’il le fait.

  2. Alexie dit :

    Ah ! Miller… Printemps noir, Tropiques, Crucifixion en rose, mais aussi des petits livres d’essais, Le monde du sexe, merveilleux exposé de mystique trash qui contient déjà tous les germes de la pensée anticapitaliste, tellement à la mode en ce moment, et son autre essai des vieux jours, Virage à 80, où le vieux cochon continue encore à tout subvertir mais avec un grand sourire, avec un texte malade sur Mishima… Yup. Je l’aime fort.

  3. Ed.Hardcore dit :

    J’aime le doux son de ta Thompson.

    J’ai encore jamais fréquenté Miller. Je termine Howard pis je m’y mets, ça va faire tout un clash.

  4. Gen dit :

    Après une semaine de sujets fort mercantiles, merci de nous rappeler qu’on est d’abord et avant tout une gang de trippeux de mots et d’idées! ;) Parce que tous les contrats du monde ne nous empêcherons pas d’être nuls si on oublie ça.

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