The Great Modern Trendkill

Toutes ces hordes d’écrivains qui prirent le XXe siècle de vitesse laissèrent derrière eux des champs dévastés, couverts de sable pour que plus rien n’y pousse. Ils domptèrent ce siècle horrible et lui sortirent les entrailles par la gueule, lui arrachèrent la chair avec leurs doigts, lui sculptèrent le muscle avec leurs hachoirs déjà émoussés et dessinèrent sur son dos meurtri les glyphes flamboyants de l’apocalypse en plein déploiement.
Ces écrivains comprirent qu’ils n’avaient qu’une chance de bien faire le travail. C’est pourquoi ils s’efforcèrent de tout faire flamber : ils réussirent, en un temps record, à répertorier et décrire toute les mottes d’horreur qui parsèment la face galleuse de l’humanité. Alors que les lavettes du XVIIe et du XVIIIe se sont efforcées de lui donner une grandeur, à cette humanité – en l’inventant comme concept et en lui collant des tonnes d’épithètes glorieux – les écrivains du XXe la séquestrèrent et l’immolèrent dans la cour arrière d’une usine désaffectée. Ils la brûlèrent jusqu’aux cendres en espérant qu’on puisse parler d’autre chose, qu’on  ait plus rien à dire à son sujet, excepté peut-être une courte épitaphe.

D’ailleurs, les grands massacres du XXe siècle ne sont qu’une pâle analogie d’autres catastrophes, héroïques celles-là, qui se produisirent dans les lieux de l’esprit. Je parle des carnages dont les symboles, les récits, les idées furent les ardentes victimes… Tous ces écrivains drainèrent ceux-ci de toute leur substance, les asséchant jusqu’à la moelle, exigeant trop d’eux, tentant de transvaser la quintessence des horreurs du siècle et de l’humain enfin déchaîné  dans de petites boîtes de Pandore, dans de petits grimoires  maudits d’avance d’une révélation caustique.  

C’est quand même étrange qu’on tente de refaire l’excellent travail qu’ils ont fait. Il me semble que les années 90 sont éloquentes là-dessus; tout ce qui s’y est manifesté en terme de ramifications littéraires – ces lieux  (comme la musique, mettons) qui sont tout de même gérés par une forme de récit – n’est qu’un long essoufflement des sens, qu’un misérable crépitement synaptique dans l’âme mourante du XXe. (D’après moi, les ogives nucléaires ont véritablement pété à la fin de la guerre froide; depuis, on déambule un peu aveugle dans les restes calcinés d’un gros party bel et bien terminé).

Maintenant, à ces écrivains qui peupleront le XXIe siècle, si vous voulez upstager ceux du siècle dernier, il va falloir trimer dur. Parce qu’à moins que vous soyez imposteurs ou peu regardants, il ne reste que des miettes à piler. La carcasse des tares de l’humanité pendouille au bout de son pic à glace, dans le icer de l’Histoire. Reste plus grand-chose à lapider. Mais peut-être que l’ignorance vous sauvera et lorsqu’on aura tous oubliés ceux que vous tentez maladroitement d’émuler (souvent sans le savoir, parce que la mémoire, en plus d’être courte, est de moins en moins à la mode), on vous fêtera à leur place.

SOUNDTRACK : The Great Southern Trendkill de Pantera

Comments
3 Responses to “The Great Modern Trendkill”
  1. doctriton dit :

    À lire et à relire. Et surtout à méditer. Merci pour ce coup de pied bien placé.

  2. Marie dit :

    Très juste comme réflexion et ça s’applique à tellement plus que simplement le métier d’écrivain.

    « Les symboles, les récits et les idées » ont été vidés de partout et par tous et sur la place publique s’il vous plaît pour qu’on savoure ce qu’il en reste. Le vide. Les réelles « victimes de ce carnage » sont en mon sens ceux qui doivent désormais se contenter de ce vide en tentant de construire un imaginaire (un monde) sur des fondations saccagées.

    Sur ce, je vais me tirer une balle.

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