Faire des livres II: Les Orphelins

 

Durant l’été 2007, j’ai entamé l’écriture d’un recueil de nouvelles plus ou moins fantastiques. C’est un des rares travaux d’écriture que j’aie porté à terme. Un ami éditeur m’avait proposé de lire la chose et d’ensuite m’aider à trouver preneur. Après m’avoir confié – à ma grande joie –  que plusieurs textes recelaient un potentiel évident et que l’un d’entre eux méritait d’être transformé en roman, il me fit part de la conclusion suivante :
«Je me demande qui, ici, peut te publier. Tu ne corresponds à la ligne éditoriale d’aucune maison d’édition et si l’une d’entre elle veut te publier, je doute qu’elle sache comment bien promouvoir ton texte.»
Bref, ça voulait dire qu’ici-bas, on n’était pas éditorialement équipé pour faire vivre mon texte.
Depuis, quand j’écris, je ne suis pas capable de m’enlever ça de la tête. Je suis orphelin. Éditorialement parlant.

Quand Ed a sorti Prison de poupées, on était tous très heureux pour lui. Pour ma part, je me sentais vengé par les événements. Un ami, dont les écrits avaient souvent été jugés impubliables – entre autre à cause de leur trashness avouée – publiait enfin chez un éditeur «reconnu» . Ensuite, les choses se sont corsées. Pour Ed, mais pour les autres aussi. Le Doc[1] avait sous le bras un excellent recueil de nouvelles (que vous pouvez maintenant lire chez Robert ne veut pas lire) qu’il n’arrivait à placer nulle part. D’une part, on lui disait que la nouvelle, hé bien c’était plus tellement vendeur; d’autre part, ses nouvelles un peu série-b, hé bien ça concordait pas tellement avec la ligne éditoriale.
Et les choses se sont corsées davantage. D’autres auteurs reconnus – que je ne nommerais pas car je n’ai pas leur assentiment –  se sont fait boudés par leur propre maison d’édition. Quand celles-ci ne formataient pas directement leur œuvre, elle boudait leurs manuscrits. Tout ça au nom de la ligne éditoriale.
Jusqu’à un moment donné je crois – si on croit naïvement à une certaine théorie de l’histoire de l’édition, la ligne éditoriale renvoyait à une certaine attitude critique face aux formes littéraires – comment doit-on les écrire; pourquoi celles-ci plus que celles-là, etc. Elle exigeait de ceux qui voulaient la faire respecter une rigueur intellectuelle qui allait de paire avec la position qu’ils occupaient sur un soit-disant échiquier de l’édition.
Maintenant, à force de tout vouloir intégrer de façon verticale, l’éditeur ne joue plus le rôle de catalyseur mais fait le clown jongleurs de chapeaux. Il veut vendre comme il veut assurer la direction littéraire. C’est de valeurs – et loin de moi l’envie de tomber dans l’argumentaire qui veut que l’argent corrompt l’art, là n’est pas la question – mais ces deux domaines-là cohabitent très mal. C’est pourquoi ceux qui bossent aux ventes ne doivent pas s’ingérer dans la direction littéraire. C’est pas leur travail.  Le travail d’un directeur littéraire, c’est de repérer des écriveux de talent et de leur fournir le nécessaire pour qu’ils accouchent de leur œuvre.  Après les vendeurs s’escrimeront à faire le reste.  Si on peut vendre de la merde, pourquoi ne pourrait-on pas vendre de l’or?
Les orphelins de l’édition, c’est des gars comme Ed, des écrivains de talents, donc, dont les œuvres sont ignorées parce qu’elles ne cadrent pas avec ce qu’on choisit trouve le plus facile à vendre, ici.

Personnellement, je crois à l’auto-édition… dans la mesure où ça demeure le seul endroit où l’on peut encore bousculer l’acte de faire des livres. L’auto-édition ou l’édition clandestine, ça demeure le seul endroit où on peut montrer aux «grands» ce qu’il est possible de faire avec peu de moyens; ça demeure le seul endroit où la pratique de l’édition peut être repensée et redéfinie; le seul endroit où le texte et son support marchandable peuvent se penser de façon autonome. Pourquoi se faire chier avec une ligne éditoriale? Pourquoi se faire chier avec des collections, des attachées de presse, avec toute la structure convenue (mais peut-être pas si nécessaire que ça) de la maison d’édition traditionnelle? Pourquoi?
On a tous déjà oublié qu’un gars, au tournant des années 2000, c’était posé ces questions-là et avait tenté d’y répondre en fondant l’Effet Pourpre.
Si, entre autre, on avait un tant soit peu gardé en mémoire les bons coups que François Couture a porté à l’édition, il y aurait peut-être un peu moins d’orphelins dans les rues.


[1] On ne parle pas ici d’un tout-nu. Le Doc a publié son premier recueil de poésie à 19 ans, chez Trois qui était dirigée par Anne-Marie Alonzo.

Comments
7 Responses to “Faire des livres II: Les Orphelins”
  1. doctriton dit :

    Nécessité, mère de l’invention, dit-on. Laissons aux sédentaires le loisir de s’encroûter dans la mousse et allons rouler notre bosse ailleurs.

  2. Ed.Hardcore dit :

    Je suis un tout petit peu moins orphelin depuis ce midi, mais je ne laisse pas pour autant tomber mon projet d’auto-édition (il est pas né l’éditeur qui voudra de mon retour à la prison de poupées).

  3. doctriton dit :

    Une bonne nouvelle se serait enfin manifestée?

  4. Gen dit :

    Le seul maudit problème avec l’autoédition, c’est que si on arrive pas à vendre avec l’aide qu’apporte la grosse machine de distribution d’un éditieur établit, comment on est supposé y arriver sans?

    Ailleurs je dirais « loin de moi les visées capitalistes, mais… », sauf qu’ici je vais juste dire : Fuck, le loyer se paye pas tout seul!

    Pis Ed, bonne chance et bravo!

  5. Le Mercenaire dit :

    Gen:
    Qui t’as dit qu’on n’arrivait pas à vendre en auto-éditant? Y’a des fanzines qui se sont écoulés à plus d’exemplaires que d’excellents recueils de poésie, que de très bons romans, même.
    C’est sûr que si ton objectif en prenant la plume, c’est de mettre du beurre sur ton pain, l’auto-édition n’est pas une voie de salut. En fait, la littérature non plus… En fait – et je n’apprends rien à personne – dans une écrasante majorité des cas, on peut pas payer son loyer avec la littérature (à moins, disons, de l’enseigner). Faut s’enlever ça de la tête. C’est une lubie. Que tu t’auto-édites ou que tu sois pris en charge par la grosse machine, tu rouleras jamais sur l’or.
    Par contre, le salut qu’offre l’auto-édition, c’est d’avoir les mains libres au niveau de la création, de faire ce que t’as envie, comme tu l’as envie. Ensuite, faut être légèrement inventif pour vendre sa salade. Mais ça se fait.

  6. Gen dit :

    Disons que je n’envisage jamais de payer mon loyer avec la littérature comme seule et unique source de revenus, mais je ne me vois pas non plus prenant en charge un volet « marketing ». :P

    J’vous souhaite bonne chance pareil! C’est vrai que vous allez pouvoir créer à votre aise! :)

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